Un document d’une centaine de pages élaboré avec le concours de près d’une vingtaine d’acteurs de la filière*, dont les français Air Liquide et ENGIE, suggère des pistes pour déployer l’hydrogène dans plusieurs secteurs. L’objectif est de massifier à partir de 2030.
Intitulé « Roadmap to US hydrogen economy » (reducing emissions and driving growth across the nation), ce rapport a été préparé par 19 organisations. On y retrouve des acteurs européens, asiatiques et américains, pour la plupart membres de l’Hydrogen Council. Mais ce n’est pas une initiative d’Air Liquide ou du conseil. Ce travail a été coordonné par la Fuel Cell & Hydrogen Energy Association, en lien avec l’Electric Power Research Institute, McKinsey et avec le soutien du Département d’Etat de l’Energie (dont deux experts de l’Argonne National Laboratory et du National Renewable Energy Laboratory ont procédé à une revue des documents).
Il est assez légitime d’adresser un marché tel que les Etats-Unis. C’est ce pays qui a donné ses lettres de noblesse à la pile à combustible en l’intégrant dans son programme spatial il y a plus de 50 ans avec Apollo 11. Par ailleurs, c’est outre-Atlantique qu’on dénombre le plus de véhicules à hydrogène en circulation, avec 7 600 voitures (essentiellement en Californie) et pas moins de 25 000 chariots élévateurs. Le document fait également état de 8 000 installations stationnaires de petite taille réparties dans 40 états et d’un objectif de 550 MW de puissance de systèmes à grande échelle.
L’hydrogène est présenté comme une solution, alors que se posent le problème de la décarbonation (énergie, industrie, transports) et du vieillissement des infrastructures liées à l’énergie. Et c’est maintenant qu’il faut prendre des décisions. Le rapport suggère que l’Amérique, qui est le plus gros producteur au monde de pétrole et de gaz, devrait investir dans l’hydrogène car cela lui permettrait d’en exporter dans le monde entier et de faire du business. Cet hydrogène ne serait d’ailleurs pas forcément obtenu à partir d’énergies renouvelables, mais le pays de l’Oncle Sam a des réserves abondantes de gaz que l’on pourrait « verdir » par une séquestration du CO2.
Dans son argumentaire, la feuille de route privilégie deux scénarios. Celui de base table sur 14 millions de tonnes en 2030 (contre 11,4 aujourd’hui) et 20 millions en 2050. Soit, 1 % de la consommation totale d’énergie à l’échelle du pays. Les usages seraient limités à l’industrie et la mobilité lourde. Ce n’est toutefois pas l’objet du rapport qui préconise de choisir le scénario ambitieux, qui vise un objectif de 1 % de l’énergie dès 2030 et de 14 % en 2050 (2 468 TWh). En ayant cette ambition, l’hydrogène deviendrait un levier de croissance. Le rapport évoque 140 milliards de $ par an de revenus et 700 000 emplois en 2030, 750 milliards de $ par an et 3,4 millions d’emplois en 2050.
Pour atteindre ces objectifs, la feuille de route dresse un agenda. Des premières applications sont suggérées entre maintenant et 2022 pour les chariots-élévateurs et l’alimentation des data centers. Entre 2023 et 2026, l’accent serait mis sur le transport (camions, bus, voitures) pour un premier déploiement tout en en poursuivant la recherche. Ensuite, jusqu’en 2030, le rapport suggère d’utiliser aussi l’hydrogène dans les trains, les avions (sous forme de carburants synthétiques), les usines et pour le chauffage (sous forme de mélange avec du gaz). Au-delà, l’hydrogène serait généralisé pour le chauffage et dans les usines et utilisé pour l’énergie et les bateaux. Ces étapes doivent être accompagnées par des mesures de soutien (au niveau fédéral et local) et par la mise en place d’équipements adaptés (électrolyseurs de 10 MW, puis 50 MW et plus, développement de pipelines d’hydrogène).
S’agissant de la mobilité, le document prévoit que les voitures à hydrogène pourraient représenter 5 % des ventes en 2030 et potentiellement 40 % en 2050. Il préconise de dimensionner les stations de façon à pouvoir distribuer 3 tonnes par jour (à un prix de 5 $ le kg) et de 8 à 32 tonnes par jour pour les camions avec jusqu’à 12 pompes par station.
Toutefois, il faut investir. Le rapport met en perspective les moyens limités que mettent les USA (150 millions de $ par an depuis 2017, contre 100 à 280 millions par an lors de la dernière décennie), alors que les autres pays accélèrent (560 millions en 2019 au Japon, 17 milliards jusqu’en 2023 en Chine, 110 millions par an en Allemagne). Le document flatte l’égo du pays, en soulignant que les USA ont des acteurs d’une taille considérable. Les pétroliers et producteurs de gaz sont capables de produire massivement de l’hydrogène à bas carbone et de le proposer à un prix compétitif. Mais encore faut-il que l’administration au pouvoir partage cette vision.
*Air Liquide, American Honda Motor, Audi, Chevron, Cummins, Daimler AG (Mercedes-Benz Fuel Cell GmbH/Mercedes-Benz Research & Development North America), Engie, Exelon Corporation, Hyundai Motor Company, Microsoft, Nikola Motors, Nel Hydrogen, Plug Power, Power Innovations, Shell, Southern California Gas Company, Southern Company Services, Toyota, Xcel Energy